jeudi 30 juillet 2009

Famille et femmes

Parmi les spécificités africaines bien présentes au Burkina Faso, outre la patience et l'hospitalité des habitants, il en est deux qui sont très surprenantes pour un Occidental.

La première concerne la place centrale jouée par la famille, au sens large. J'ai déjà raconté comment les Burkinabè vivent tous sous le même toit au sein d'une famille élargie. Il faut comprendre que les liens entre les membres de la famille sont très forts, et qu'on ne peut pas survivre ici seul. Il existe une hiérarchie très claire au sein d'une famille : le patriarche a le pouvoir absolu, en contrepartie il est responsable de la subsistance de l'ensemble de la famille. A sa suite, chaque personne obéit sans discussion à toute personne plus âgée et de même sexe. J'ai été assez étonné en arrivant de la manière dont Mahamadi, qui est le chef de famille en tant que fils aîné du patriarche décédé, donne des ordres sans ménagement à ses jeunes frères, et de la façon dont ceux-ci s'exécutent sans broncher, même lorsqu'ils sont adolescents ! Mais lorsqu'une de ses soeurs s'est fait renverser par une voiture, c'est Mahamadi qui s'est occupé de tout : l'accompagnement à l'hôpital, la plainte au commissariat, etc.

La seconde tradition, qui se révèle assez choquante pour un Occidental, est assez liée à la première et concerne la place des femmes. Ici on considère (y compris les plus jeunes hommes, et pas mal de femmes) que le rôle des hommes est de ramener de l'argent à la maison pour subvenir aux besoins de la famille, et que celui des femmes est d'entretenir la maison et de s'occuper des enfants. Ainsi, les femmes préparent à manger pour les hommes (il est assez rare que ceux-ci le fassent,sauf lorsqu'ils vivent seuls, par exemple lorsqu'ils sont étudiants), qui mangent entre amis, mais elles mangent à part. Les hommes donnent véritablement l'impression d'être servis par les femmes quand ils rentrent du travail. Peu de chance de voir un homme participer aux tâches ménagères ou à l'éducation des enfants ! Deux autres petites illustrations de l'image de la femme en Afrique : une femme qui fume une cigarette est considérée comme une prostituée, et il est d'usage pour une femme de se marier avant d'avoir 24 ans (27 pour les hommes, quoique ceux que je connaisse doivent avoir atteint cette limite sans être mariés, bien qu'ils soient tous en couple). Autre chiffre : dans la classe de sixième d'un membre d'ACP (prof d'histoire-géo), l'année scolaire a commencé avec 10 grossesses. Les filles avaient 12 à 14 ans. Les hommes sont encore très réticents ici à voir des femmes occuper des postes à responsabilité, et jugent quand c'est le cas qu'elles abusent plus de leur pouvoir que les hommes.

Au niveau des relations de couple, après en avoir longuement discuté avec les membres d'ACP que je fréquente quotidiennement (tous des hommes), il semblerait que se marier, ou au moins avoir une relation "officielle", serve principalement à préserver l'harmonie des relations familiales décrites plus haut. Le batifolage et l'infidélité "font partie de la culture africaine", comme me l'a dit un membre de l'association. La polygamie est en théorie interdite au Burkina Faso, mais jusqu'à une certaine époque elle restait admise pour les musulmans et les animistes (cf. l'oncle de Mahamadi et ses trois femmes, dont j'ai parlé la dernière fois). Beaucoup d'hommes l'envisagent encore actuellement.

Pour terminer, je laisse chacun libre de juger ces pratiques comme il l'entend. Je ne fais ici que constater ces différences culturelles, et je pense qu'il est difficile d'avoir un avis objectif sans comprendre la totalité du contexte.

A bientôt.

*****
Réponse à Fabrice :
il y a environ 80 élèves par classe, donc logiquement une quarantaine de filles (je n'ai pas l'impression qu'il y ait une discrimination à ce niveau). Si 10 sont enceintes pendant l'année, ça fait un quart des filles de la classe ! Pour l'IVG je ne sais pas, mais je pense qu'effectivement il n'est pas pratiqué : trop cher et pour les catholiques pas conforme à ce que dit le Pape. Elles ne vont pas toutes être rejetée, ça dépend si le père assume ou pas. Et si le père n'assume pas, il existe aussi des familles compréhensives ...
Mais si le projet d'ouverture d'un centre de formation pour jeunes filles-mères tient à coeur à Mahamadi et à l'ACP, c'est que le problème du rejet de ces personnes existe bel et bien.

2 commentaires:

  1. De toutes façons, c'est délicat de juger sans comprendre le systeme d'ensemble (avant meme de parler de valeurs, la hierarchie dequelles depend aussi de si les besoins primaires sont assurés ou pas).

    j'imagine facilement qu'en milieu instable, insécure et précaire, un "pouvoir" (e.g. clan) avec des aspects d'apparence inégalitaires ou arbitraires, est d'une part préférable à rien, d'autre part plus applicable qu'une utopie sociale (fut-elle juste d'imiter l'europe) qui ne fonctionne qu'avec une gabegie de moyens et d'infrastucture technique et administrativo-politique.

    (une fois toutes ces contextualisations passées, alors seulement on peut se demander si les valeurs europeennes ont toutes ou non un "supplément d'âme" qu'on devrait recommander -voire imposer- aux autres, et si oui, en évitant l'impatience amnésique du temps -et des conditions- qu'il a fallut pour que nos propres sociétés évoluent).

    mes 3 cents. (comment ça on n'y comprend rien ? :-) )

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  2. "dans la classe de sixième d'un membre d'ACP, l'année scolaire a commencé avec 10 grossesses. Les filles avaient 12 à 14 ans".

    Pour un effectif de combien d'eleves ?
    Dans ce que tu dis plus loin, ces fillettes vont vraiment majoritairement être mises à la rue ?
    J'imagine qu'il y a zero recours à l'IVG ?

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